Progresser dans l’économie circulaire alors que cela semble impossible

Article
Thomas Vandenhaute

Blocages et interdépendances : l’œuf ou la poule ? (Partie 1)

Toute entreprise impliquée dans la pratique de l'économie circulaire y est confrontée : les impasses, les situations qui nécessitent d'abord des changements externes avant de pouvoir progresser, ou encore celles où les parties s'attendent mutuellement parce qu'elles sont interdépendantes. Pour l’une, la demande de produits et de services poursuivant des objectifs circulaires est inexistante ; pour l’autre, l'offre de produits et de services contribuant à l'économie circulaire est trop faible. Comment sortir de cette impasse ?

Vous êtes prêt à commercialiser des produits et services circulaires, mais les clients ne sont pas disposés à en payer le coût plus élevé. Faut-il que la demande des clients augmente ou que l'offre s'étoffe ? 

Vous souhaitez entrer dans une collaboration pour réutiliser les produits mis au rebut, mais la réglementation ne le permet pas. Faut-il que la réglementation change ou que les produits ne deviennent pas des déchets en fin de vie ? 

Ces situations de l’œuf ou la poule sont nombreuses et vous donnent l'impression de ne pas pouvoir progresser. Il existe cependant une issue.

La première méthode consiste à attendre. Si vous ne souhaitez pas être à l’avant-garde ou faire partie des premiers adoptants, vous pouvez choisir cette option. Mais ce faisant, vous manquerez des occasions d'adapter plus rapidement votre entreprise à la nouvelle réalité (survie du plus fort). 

Rompre le cercle vicieux

En pratique, il existe presque toujours une solution pour faire face à ces situations de blocage ou de l’œuf ou la poule, voire même pour les exploiter afin de rendre la gouvernance circulaire plus robuste et plus puissante. 

Nous avons tiré des enseignements de la pratique et nous constatons cette même approche parmi les entreprises pionnières. 

Avant tout, prenez du recul et analysez la situation de loin : êtes-vous l'œuf ou la poule ?

Les poules peuvent changer de perspective grâce à leur liberté de mouvement 

Si vous êtes la poule, vous disposez encore d’une certaine liberté de mouvement. Vous ne possédez pas toutes les connaissances, mais vous pouvez vous déplacer et adopter ainsi une nouvelle perspective. Autrement dit, vous pouvez évaluer la situation différemment en la regardant sous un autre angle. Cette approche fait émerger de nouvelles opportunités et relations jusqu'alors cachées. Il s'agit essentiellement d'une situation comparable au moment charnière (pivot) lors de la mise en place itérative de votre initiative circulaire. Ce processus se déroule en trois phases répétitives :

  1. Concevoir et élaborer une hypothèse.
  2. Tester et valider les hypothèses.
  3. Apprendre et décider de la prochaine étape (dans le même sens en cas de succès ou réorientation si le résultat est différent de celui attendu). 

Exemple : je ne connaîtrai mon processus de remanufacturage (étapes du processus, coût, etc.) que lorsque je connaitrai la qualité des cores (produits mis au rebut) entrants. Je ne connaîtrai la qualité des cores que lorsque je les aurai inspectés, démontés, ... Ce que je dois faire est donc fonction de ce que je veux savoir, et vice versa.

Nous reconnaissons ici une approche récurrente parmi les entreprises qui parviennent à sortir de ces situations. Pour faire simple, il s'agit d'adopter une approche itérative. Les étapes typiques de cette approche sont basées sur les questions suivantes :

  • Quelles connaissances et informations sont déjà disponibles ?
  • Quelles sont les hypothèses que nous formulons ?
  • Comment testons-nous et évaluons-nous ces hypothèses ? 
  • Quels enseignements pouvons-nous en tirer ?

Approche appliquée à l'exemple de la mise en place d'un processus de remanufacturage :

  • Quelles connaissances et informations sont déjà disponibles ? Dans la plupart des cas, vous disposez de connaissances et de données sur le produit, sa durée de vie utile, éventuellement des données de conception, des services fournis précédemment, des mises à niveau, ... 
  • Quelles sont les hypothèses que nous formulons ? Les machines de plus de dix ans ne conviennent pas vraiment pour une mise à niveau. Les produits basés sur une technologie particulière X ne sont pas pertinents pour le remanufacturage.
  • Test et évaluation de ces hypothèses : nous reprenons quelques machines de plus de dix ans et les inspectons. Quelles sont les conditions préalables (par le biais d'une étude basée sur la conception du produit) à la mise à niveau ou à la réparation de (groupes de) produits à technologie X ? 
  • Quels enseignements pouvons-nous en tirer ? Quelles combinaisons de données, d'âge et de technologie déterminent les étapes de remanufacturage (inspection, test) nécessaires ? Quels sont les critères plus stricts pour l’acquisition de cores ? 

Partant de cette approche, vous pouvez adapter vos hypothèses, emprunter une nouvelle voie, corriger, ... Ce sont vos moments charnières. 

La principale caractéristique que nous observons parmi les équipes qui parviennent à entreprendre ces démarches et continuent de progresser (souvent dans une direction différente), est l'esprit d'entreprise ou l'intrapreneuriat. Ce sont les initiateurs, les leaders, les faiseurs, les personnes qui recherchent les opportunités et qui réduisent les incertitudes et (donc les risques) étape par étape. 

D'où l'importance de constituer l’équipe qui marche, comme vous pouvez le lire dans le témoignage de Moduar Lighting Instruments.

Les œufs se développent de l'intérieur jusqu'à ce que la coquille se brise et que le poussin éclose 

Les œufs sont statiques et non extensibles. Dans pareilles situations, la marge de manœuvre pour réaliser des progrès immédiats est quasi inexistante, ce qui nécessite pas mal de préparatifs en amont. Il est nécessaire d'augmenter la pression sur les limites existantes. Cela ne peut se faire que de l'intérieur. Il s’agit donc de se rendre plus fort, ainsi que les autres enfermés dans l'œuf. 

Comment ? Rassemblez la logique sous-jacente ou les pistes de réflexion (les « modèles mentaux ») des acteurs concernés. Interrogez les acteurs sur leur cadre de valeurs et vérifiez si votre objectif final en est très éloigné.

Un exemple : certaines réglementations entravent une approche circulaire. 

Engagez le dialogue pour apprendre. Notez les arguments, les objectifs et les aspirations. Après la discussion, recherchez les valeurs sous-jacentes. Faites également cette analyse pour vous-même et dressez une liste de vos valeurs sous-jacentes. À présent, vous avez de quoi augmenter la pression interne. Échelonnez ces valeurs sur un axe avec vos valeurs à gauche et les valeurs des autres à droite. Il est fort probable que certaines valeurs communes émergent au centre. Concentrez-vous sur la collaboration à partir d'un objectif commun. Quel est l'esprit de la réglementation ? Quel en est l’objectif et que cherche-t-elle à éviter ? Quelles sont les valeurs et les idées pertinentes qu’elle recèle ? 

Sur la base des valeurs et des aspirations communes, quelles démarches pouvons-nous entreprendre ensemble ? Quelles conditions préalables ou quel contexte (projet pilote, enregistrement, documentation, etc.) pouvons-nous envisager pour progresser malgré tout ? Dans cette étape suivante, qui a quel rôle à jouer ? L'un se charge de tester et de documenter, l'autre d’évaluer et de vérifier les conditions préalables.

De pareilles situations peuvent également se produire au sein d'une même entreprise. En règle générale, il existe différentes interprétations de la définition et de la signification exacte de la circularité. Posez-vous les questions suivantes : quelle est la valeur d'un produit ou d'un service circulaire pour vous ? Pourquoi achèteriez-vous ou non un produit ou un service circulaire ? 

Un exemple : votre entreprise fait partie d'un grand groupe international et les priorités et objectifs ne semblent pas converger. Dénué de nuance, cela reviendrait à dire : « Nous soutenons pleinement la démarche circulaire, mais la direction générale ne recherche que les bénéfices à court terme. »

Dans ce cas, il y a lieu de se poser les questions suivantes : quel est l’objectif final de notre entreprise ? Quelles sont nos valeurs premières et quelle est notre mission ? Notre entreprise souhaite-t-elle réduire son empreinte écologique ? Cherchons-nous à explorer des sources de revenus supplémentaires et de nouveaux marchés ? Quelles valeurs (les personnes, la planète, la prospérité) privilégions-nous ? En procédant de la sorte, vous obtiendrez une vue d’ensemble qui met en lumière les valeurs et les objectifs communs. Attelez-vous donc à rechercher activement les similitudes et les éléments qui font l’objet de convergence. 

Vous trouverez souvent des objectifs communs tels que l'allongement de la durée de vie, une solution rentable, des fonctionnalités sans incidence négative sur l'environnement, des nouvelles sources de revenus supplémentaires sans surcoût, un accès à de nouveaux marchés, une réutilisation accrue, ... 

Dans ces cas, la coquille de l’œuf se brise, avec l'accord de la poule qui voit d’un bon œil l’émergence d’une nouvelle vie sous la forme d'un poussin « fragile ». 

Quid si la poule ne veut pas d’un poussin ? Nous aborderons cette question dans un prochain blog. 

Vous voulez en savoir plus sur la manière d’aborder des blocages circulaires dans la pratique ? Contactez-nous 

Cet article a été rédigé dans le cadre du projet COOCK Cirkel : mise en place d'activités visant à prolonger la durée de vie des produits, et les défis y relatifs

 

  

Photo: atlascompany - Freepik

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