Dans l'industrie, l’« usine intelligente » est une formule magique. Des exemples démontrent qu’il faut d'abord rendre l'usine plus simple avant de pouvoir la rendre intelligente.
Une usine intelligente exploite pleinement les technologies numériques et l'automatisation flexible pour améliorer les coûts, la qualité, les délais et la flexibilité. L’établissement d'une usine intelligente est l'un des nombreux moyens d'atteindre ces objectifs. Par exemple, si vous voulez réduire les coûts de production, il existe de nombreuses options telles que l'ajustement de la conception du produit pour améliorer la capacité de fabrication, l'automatisation, le lean manufacturing, le recours à des fournisseurs moins chers, ainsi que l’établissement d'une usine intelligente.
Le nombre de possibilités contraint la direction à poser un choix mûrement réfléchi. La question essentielle est la suivante : « Quel est l'objectif opérationnel que nous voulons atteindre et quelle option est la plus rentable ? » L’établissement d'une usine intelligente n'est pas une fin en soi, mais un moyen d'atteindre un objectif commercial tangible.
Bien que les usines intelligentes soient à la mode en ce moment, les investissements, notamment en logiciels, ne doivent pas être sous-estimés. Il n’est pas (encore) possible de construire une usine intelligente à l’aide d’apps gratuites. Les frais d'entretien des logiciels en témoignent. Le coût d’entretien d'une machine de production dans une usine s'élève généralement à 3 ou 4% de sa valeur neuve ; le coût d’entretien d’un logiciel est souvent de 15 à 20%. Après environ 5 ans, le coût réel du logiciel a donc doublé par rapport à l'investissement initial.
Rocket science
Les usines intelligentes ne sont pas exemptes de risques. Plus un système est avancé et plus il y a de chances qu’il rencontre un problème. C'est exactement la situation que Tesla a connue récemment. « Excessive automation at Tesla was a mistake. Humans are underrated. » Voilà la teneur du tweet d’Elon Musk par lequel il enterrait son rêve d’une usine « lights-out ». Pour Elon Musk, il semble plus facile de construire une fusée lunaire que de diriger une usine. Bref : la production est plus difficile que la rocket science.
Dans les cercles de l'aérospatiale, on se plaît à rappeler que les Américains et les Russes ont tous deux effectué des recherches pour trouver un stylo permettant d’écrire dans l'espace. Après avoir dépensé des millions de dollars, les Américains ont inventé un stylo ingénieux. Les Russes, eux, ont préféré utiliser un crayon. Cette histoire est probablement trop belle pour être vraie, mais au moins elle illustre bien l’adage de Léonard de Vinci « La simplicité est la sophistication suprême ». Cette réflexion mérite d’occuper une place centrale dans notre réflexion sur la production.
« Simplifiez vos processus avant d'investir dans la technologie » : tel est le principe que Toyota place elle aussi au centre de sa conception de l’Industrie 4.0. Il est ainsi possible d’éviter les investissements inutiles dans la technologie. Ce n'est que si la simplification ne permet plus d’avancer vers la réalisation de son objectif qu'on pourra investir dans une technologie plus intelligente.
Une simplicité étonnante
Quelques exemples montrent que les choses peuvent parfois être incroyablement simples. Une entreprise nous a récemment contactés parce qu’elle cherchait une solution pour retirer automatiquement les crochets dans une ligne de peinture. Une solution évidente pourrait consister à tout simplement automatiser l’actuelle méthode de travail manuelle. Ce faisant, on arrive vite à un système complexe composé d'un robot qui saisit et retire les crochets, avec un système de caméra pour détecter ceux-ci. Mais il est aussi possible de faire plus simple. L'ajout d'une tige courbe dans le flux de transport des crochets s'est avéré suffisant pour résoudre le problème. La vidéo ci-dessous montre comment les crochets heurtent doucement la tige courbe, après quoi ils suivent brièvement la courbure de la tige puis basculent et finissent par se décrocher puis tomber dans un bac comme un fruit mûr.
Autre exemple, une société de services qui gère de nombreuses pièces de rechange différentes et stocke au total quelques millions de pièces. L'entreprise était confrontée à un défi majeur, à savoir réduire les activités de comptage des stocks. On peut facilement inventer une solution technologique pour cela. Par exemple, il serait possible de placer une balance sous chaque bac afin de surveiller constamment le stock. En théorie, ce principe offre une solution infaillible, mais il exige un investissement substantiel dans des milliers de balances, en infrastructures réseau et en logiciels. L'entreprise a toutefois trouvé une solution plus simple. Si, selon le système, il ne reste plus que quatre articles ou moins après un prélèvement, les préparateurs de commandes sont chargés, via les scanners, d'effectuer un inventaire.
Ce principe offre plusieurs avantages. Tout d'abord, le comptage réel est énormément réduit par le fait qu’il ne faut compter que de petites quantités. Ensuite, il n’est pas vraiment nécessaire d’effectuer le comptage. Tant que le nombre d'articles est limité à quatre, il est en effet possible de voir en un coup d'œil combien d'articles sont présents. Cela accélère encore le comptage et réduit également le nombre d'erreurs de comptage. Enfin, il est ainsi possible d’effectuer un comptage systématique au moment où il est le plus nécessaire, à savoir lorsque les stocks sont sur le point d'être épuisés et lorsque des erreurs de stock potentielles ont le plus d’impact.
De tels exemples n’ont rien de nouveau. Le système Kanban japonais est un classique. Alors qu'en Occident, les entreprises installaient des systèmes de planification coûteux, leurs homologues japonaises inventaient le système Kanban, qui facilitait le réapprovisionnement du stock par l’emploi de fiches visuelles. Dans les environnements de production de produits fortement différenciés à faible volume et sur mesure, il n’est malheureusement pas possible d’utiliser directement le système Kanban. Nombre d’entreprises se laissent donc convaincre d’installer un système de planification aussi perfectionné que coûteux (finite schedulers, APS), mais les pionniers ont prouvé qu’il était aussi possible de faire plus simple. Une alternative élégante est à de tels systèmes est POLCA, une variante du Kanban qui convient pour les produits fortement différenciés à faible volume et sur mesure. POLCA fait partie de la stratégie quick response manufacturing, qui vise à réduire les délais en simplifiant les processus.
Conclusion
Que nous apprennent ces exemples ? Réfléchir avant d'agir. Simplifiez d'abord, puis investissez dans des technologies intelligentes. Ou, comme le disait Taichi Ohno, fondateur du système de production Toyota : utilisez d'abord votre cerveau, puis votre portefeuille.
En savoir plus sur POLCA ? Le 25 octobre 2018, Rajan Suri, le concepteur de QRM, donnera à Gand un masterclass au sujet de POLCA. Vous trouverez davantage d'informations dans notre agenda.
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