Existe-t-il un lien entre le trafic routier et les contaminations du coronavirus ?

17 février 2021
Elena Tsiporkova

Ce cinquième article de blog fait partie d'une série consacrée à la situation du trafic à Bruxelles en période de confinement. Il s'inspire d'une récente déclaration du virologiste Steven Van Gucht sur l’augmentation des déplacements de la population et l'impact qu’elle aurait sur le nombre de contaminations du coronavirus.

Nos précédentes analyses étaient basées sur un jeu de données de Bruxelles Mobilité, qui reprend le comptage des véhicules sur 55 sites très fréquentés de la ville de Bruxelles. Dans notre premier article, nous constations que lors du premier confinement en mars 2020, le trafic avait considérablement diminué globalement, mais moins sur la petite ceinture de Bruxelles, où des pics pouvant atteindre 80% du trafic habituel avaient été observés. Dans notre article précédent (le quatrième), nous avions examiné l'évolution du trafic par rapport aux valeurs historiques depuis 2018, afin de prendre en compte les effets de la saisonnalité et des vacances sur le trafic. Nous avions observé que les volumes de trafic en octobre 2020 étaient très proches des conditions normales (avant le coronavirus). 

Le présent article s'inspire d'une déclaration du virologiste Steven Van Gucht au JT de la VRT le 9 décembre : “…wat wel opvalt is dat we ons vaker verplaatsen… en daarvan weten we dat dat een vrij goede voorspelling is van het toekomstig aantal nieuwe besmettingen.” « ... on constate des déplacements plus fréquents... et nous savons que c'est un assez bon indicateur des futures nouvelles contaminations. » Les données relatives au comptage des véhicules étant étroitement liées aux déplacements des personnes, il est intéressant d'examiner si la déclaration de Steven Van Gucht est fondée, c'est-à-dire dans quelle mesure le trafic est corrélé aux contaminations du coronavirus, voire permet de les prédire. 

Cet article révèle trois idées principales :

  1. Un seuil donné de volume de trafic doit être dépassé pour qu’on observe un impact sur le nombre d'hospitalisations liées au coronavirus.
  2. On constate une nette différence d’impact sur le trafic entre les zones résidentielles et les lieux stratégiques plus commerciaux.
  3. Les pics d'hospitalisation suivent les pics de trafic avec un décalage temporel très variable selon la période de l'année.

Moins de 16.000 véhicules par jour à Bruxelles pour maîtriser la pandémie 

Considérons d'abord le nombre moyen de véhicules par jour sur 50 routes à fort trafic de la Région de Bruxelles-Capitale depuis le début de la pandémie en mars 2020. Dans le graphique suivant, l'évolution du comptage des véhicules est représentée par une courbe bleue. Pour atténuer les baisses périodiques dues aux week-ends, nous avons utilisé un créneau dynamique de la moyenne hebdomadaire. Celui-ci reflète également la manière dont sont déclarées les hospitalisations liées au coronavirus à Bruxelles (ligne orange). Notez que dans cette étude, nous utilisons le nombre de nouvelles hospitalisations et non le nombre de nouvelles contaminations. Le taux d'hospitalisation est également représentatif de la prévalence du coronavirus, bien que généralement avec un léger en retard par rapport au nombre de contaminations. Ce paramètre présente l’avantage d’être stable, car il n'est pas affecté par l’évolution de la stratégie et de la capacité de test.

traffic covid

II est intéressant d'observer qu'il a fallu dépasser un certain seuil dans le nombre de véhicules (environ 16.000-17.000) pour provoquer une inversion de tendance à la hausse/baisse des hospitalisations liées au coronavirus. Le graphique montre clairement que lors du premier confinement en 2020, le trafic a diminué jusqu’à un tiers de son volume normal. On peut observer une baisse soudaine similaire des hospitalisations quelques semaines plus tard, début avril (attention : échelle logarithmique). Soulignons que le nombre d'hospitalisations a continué de baisser jusque début juillet, malgré la nette augmentation progressive du nombre de véhicules. Par la suite, ce n'est qu'à la fin du mois de juin que le nombre de véhicules a clairement dépassé le seuil des 16.000 véhicules, entraînant une forte hausse des hospitalisations en juillet.

De même, la baisse temporaire des hospitalisations liées au coronavirus début septembre s'explique par un passage sous les 16.000 véhicules au milieu des vacances d'été. Lors du deuxième confinement, le trafic n'est passé que brièvement sous le seuil, pour ensuite stagner autour du seuil. Les hospitalisations n'ont dès lors diminué que pendant une courte période et ont même stagné dans la seconde moitié du mois de décembre. Notez que ce seuil peut varier dans le temps, car il dépend de facteurs externes tels que la disponibilité des masques et un respect moins rigoureux des restrictions par les citoyens.  

Hausse des hospitalisations en Flandre également précédée par une augmentation du trafic

Dans le prolongement du comptage des véhicules à Bruxelles, nous considérons également le comptage des véhicules issu du jeu de données Telraam. Telraam est un projet ouvert permettant aux citoyens de surveiller le trafic en installant une petite caméra derrière une fenêtre qui compte le passage des véhicules. Tout citoyen pouvant participer, on peut surveiller un (plus) grand nombre de lieux. En dehors des différentes régions belges, la grande différence avec les données de comptage des véhicules à Bruxelles réside dans le fait que les données Telraam proviennent généralement de zones résidentielles, avec des points chauds à Leuven, Anvers et Gand. Le comptage des véhicules à Bruxelles provient de lieux plus fréquentés et critiques en matière de trafic (p. ex. la Petite ceinture). Parmi les inconvénients du projet Telraam, ce matériel peu coûteux n'est pas capable de détecter les véhicules une fois la nuit tombée. Donc, pour permettre une comparaison équitable en toute saison, nous avons exclu tous les comptages avant 9h et après 17h. Les lieux avec trop peu d'éléments de données dans l'intervalle de temps qui nous intéresse (mars-décembre 2020) ont également été écartés. Nous avons finalement identifié 379 lieux de comptage qualitatif des véhicules en Flandre.

Sur la base de ces données de Telraam, nous avons établi le même graphique (ci-dessous) que pour Bruxelles. En se concentrant uniquement sur le comptage des véhicules, on observe une évolution du trafic très similaire jusqu'au début du deuxième confinement en novembre. Toutefois, contrairement à Bruxelles, on note une baisse beaucoup plus forte du nombre de véhicules début novembre, plus importante encore que lors du premier confinement.

Ce phénomène peut avoir plusieurs explications. La Flandre est peut-être simplement plus disciplinée que Bruxelles lorsqu'il s'agit de suivre les restrictions et les recommandations en matière de coronavirus. La différence pourrait aussi très probablement être attribuée à la nature plus résidentielle des lieux et à l'exclusion des heures de pointe du jeu de données Telraam. Après tout, cette baisse soudaine ne semble pas précéder une diminution spectaculaire des hospitalisations liées au coronavirus par rapport à Bruxelles. En général, on peut encore observer une évolution très similaire (avec décalage) du comptage des véhicules et des hospitalisations.

traffic covid

Combien de temps faut-il pour constater l'effet d'une baisse du trafic ?

À Bruxelles et en Flandre, on observe un effet retard du comptage des véhicules sur les hospitalisations liées au coronavirus. Bien que l’intervalle de retard entre les pics de trafic et d'hospitalisations semble très variable selon les périodes, il ne fait aucun doute qu'il existe une certaine corrélation entre l'évolution du nombre de véhicules et les chiffres du coronavirus. 

Afin d'étayer formellement cette affirmation, nous avons calculé la corrélation de Pearson entre les hospitalisations liées au coronavirus et le nombre moyen de véhicules pour trois « périodes d'intérêt ». Chaque période d'intérêt représente une étape différente (en termes de pics) dans les hospitalisations et est annotée dans les deux graphiques ci-dessus. Comme nous souhaitons découvrir quel décalage temporel conduit à la corrélation la plus élevée pour chaque période d'intérêt, la corrélation de Pearson a été calculée pour un décalage temporel compris entre 7 et 60 jours pour chaque période.

  • La corrélation de Pearson la plus optimale pendant la première période d'intérêt (barre bleue sous les deux graphiques) a été obtenue pour les deux régions pour un décalage de 40 à 42 jours. Il a donc fallu 40 à 42 jours pour que la baisse du trafic (c'est-à-dire les déplacements des citoyens) ait un impact sur les hospitalisations liées au coronavirus.
  • Pour la deuxième période d'intérêt (petit pic pendant la pause estivale), le décalage avec la corrélation de Pearson la plus élevée était trop important pour être fiable. Nous supposons que trop de facteurs ont eu un impact sur le taux d'hospitalisation durant la période estivale et on ne peut donc manifestement pas l’expliquer uniquement avec le comptage du trafic.
  • Dans la troisième période d'intérêt (deuxième pic majeur), la corrélation optimale de Pearson est obtenue avec un décalage temporel différent pour Bruxelles (36 jours) et la Flandre (22 jours). Une telle différence dans le décalage d'impact peut être attribuée à la nature différente des données sur le trafic, p. ex. davantage lié aux entreprises à Bruxelles et aux zones résidentielles en Flandre, comptages de site plus concentrés à Bruxelles et plus fragmentés en Flandre, qui sont différemment affectés par les mesures contre le coronavirus.

L'affirmation de Steven Van Gucht est-elle donc correcte ?  

Sur la base de cette brève étude, il est clair qu'une tendance à la hausse du trafic peut servir d'indicateur précoce de l'augmentation du nombre de contaminations du coronavirus, comme l'affirme Steven Van Gucht. Cependant, l'augmentation des contaminations du coronavirus est due à une multitude de facteurs très divers et dynamiques, qui ne sont pas pris en compte dans les données sur le trafic, par exemple les comportements individuels imprévisibles et l'évolution du virus (p. ex. délai entre les symptômes et l'hospitalisation). Comme il est très difficile de prendre en compte de tels effets, suivre l'évolution du trafic n'est pas fiable pour la prévision, mais reste très utile pour envoyer un signal de prudence.  

Cet article a également été publié sur le site Web d’EluciDATA Lab dans le cadre d'une série d'articles de blog sur le projet MISTic réalisé par l’EluciDATA Lab de Sirris, avec Macq et la VUB en tant que partenaires. Le projet MISTic est subventionné par la Région de Bruxelles-Capitale - Innoviris.   

 

 

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